La fracture du financement n’aura pas lieu

Après bien des rebondissements, le feuilleton « Coeur Défense » vient de trouver un (ultime ?) épilogue avec sa reprise en main par Lone Star. ...

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Après bien des rebondissements, le feuilleton « Coeur Défense » vient de trouver un (ultime ?) épilogue avec sa reprise en main par Lone Star. L’investisseur américain, qui se paye à prix discount un actif emblématique, frappe un grand coup sur le marché de l’investissement français. Lui qui, dans les années 1990, avait raté les appels d’offres UIS et UIC-Sofal avant de disparaître de l’Hexagone. Cette transaction serait-elle le début d’une nouvelle fracture ou le point de départ d’un nouveau cycle ?

Titrisation, actifs distressed, vendeurs obligés : la sémantique de la crise financière n’a jamais envahi la sphère immobilière française. Exception faite d’une petite dizaine de cas - Coeur Défense compris -, le marché hexagonal s’est finalement tenu à bonne distance des déboires anglo-saxons. « La titrisation, très répandue au Royaume-Uni, l’était beaucoup moins en France. Le système financier y est, de fait, moins sophistiqué ainsi que dans le reste de l’Europe continentale. Quand les marchés de la titrisation et de la syndication se sont ralentis puis arrêtés en 2007-2008, la France a été de fait moins impactée », souligne Francesca Galante, co-fondatrice avec Cyril de Romance de la société First Growth créée en 2009, spécialiste de la dette immobilière structurée et junior en Europe continentale. « Les titrisations obéissent à un modèle trop anglo-saxon, assez peu compatible avec notre univers juridique », confirme Jean-Pascal Bus, avocat chez Norton Rose Fullbright. Si les titrisations restent portion congrue, le marché français doit cependant régulièrement faire face à des dossiers de financement en restructuring qui peuvent déboucher, sur une vente à l’encan pour un immeuble mal loué, acheté trop tard, trop cher et pour lequel la seule solution reste la vente à la casse après le départ du locataire unique. Un « micro-marché marginal » qui échappe à toutes les règles sinon celle du plus offrant. Reste une coquetterie franco-française qui a la vie dure : les crédits bullets, payables à terme, soit... le lendemain de l’échéance d’un prêt, finalement assez répandus sur le marché français.

Un phénomène nouveau a envahi la planète finance. Incontestablement, depuis quelques mois, les banques sont sur le retour. Timidement, mais elles reviennent. Se révélant globalement plutôt patientes, il faut reconnaître qu’elles ont, en France, créé les structures pour porter, les uns après les autres, les projets en difficulté. « Elles restructurent les actifs, elles attendent, réalisant elles-mêmes le travail de défaisance que l’on a connu sans processus de globalisation », reconnaît Jean-Pascal Bus. « Les banques françaises se sont recentrées sur leur marché domestique. Les banques allemandes Pfandbriefe redoublent d’énergie. Les banques anglo-saxonnes recommencent à avoir de la liquidité », poursuit Francesca Galante.
De la liquidité, oui, mais pour quoi faire ? « C’est aussi une question de taille de marché », souligne Francesca Galante. Challengées par leurs confrères assureurs ou investisseurs, les banques sont là mais interviennent avec... parcimonie et à dose homéopathique. La taille, la localisation (avec un contraste saisissant entre Paris et les régions) mais aussi le profil de risque de l’actif représentent les trois données d’une équation financière que le prêteur prend en compte.

« Pour les actifs prime ou pour les sponsors institutionnels, la liquidité est abondante. En revanche, pour financer des actifs value-added ou opportunistes, des sponsors non institutionnels ou des situations compliquées, le financement continue d’être plus rare, trop rare. Une situation peut être nettoyée de façon à élever un actif à un niveau de qualité plus institutionnel et donc le rendre ainsi finançable par les banques
traditionnelles », affirme Francesca Galante. First Growth a bouclé, fin 2011, le financement d’acquisition 2
du parc d’activités de la Mure, à Ivry-sur-Seine (94). Un dossier de 60 M€ pour un actif de 44 000 m de bureaux et d’activités, travaillant pour le compte des investisseurs en dette mezzanine et senior.
Ceux ci ont été remboursés par un refinancement bancaire classique en 18 mois, générant un IRR de plus de 12 % pour la tranche 0-70 % LTV.

« Pour de bons actifs, mais avec des sponsors non prime, ou avec un angle développement, baux courts... hors du champs des banques françaises et allemandes, nous considérons aujourd’hui que pour des LTV de +65 % + les prêts ‘alternatifs’ immobiliers sont pricés entre 250 et 500 points de base en France pour un équivalent de 175 à 300 en Grande-Bretagne et entre 150 et 250 en Allemagne. Le spread pour les prêts mezzanine stand alone se creuse entre la Grande-Bretagne/ Allemagne et le reste de l’Europe continentale ».

Six ans de crise, et le financement immobilier semble au bout de son chemin de croix, à la fin d’une époque de vaches maigres. Le divorce entre l’immobilier et les banques touche à sa fin même si Bâle 3 et Solvency 2 sont passés par là. « Le financement est au bout de la fracture car les banques sont de nouveau prêtes à prêter pour autant que les fonds propres et l’equity soient supérieurs à ce qui s’est pratiqué dans le passé, y compris pour les fonds anglo-saxons », constate Jean-Pascal Bus. En dépit d’une aversion totale au risque, les banques font leur grand retour sur le marché du financement après le raid des assureurs, des nouveaux fonds de dette core ou opportunistes et la réaction du marché obligataire.

Le secteur du financement marche dans les pas du secteur de l’investissement. Une fracture se superpose, presque trait pour trait, à l’autre avec d’un côté, une guerre du prime et de l’autre, le désert de l’opportuniste. Un marché plus que jamais à deux vitesses où l’on commence à percevoir des signes - encore faibles - de rapprochement. La grande nouveauté, c’est, comme le souligne Knight Frank dans son Paris Vision 2014, l’inflexion observable sur l’appréciation de la qualité des actifs cessibles. Le marché n’est pas revenu aux grandes heures des stratégies opportunistes et value-added, mais globalement, il s’est montré moins strict, passant du core pure au core plus. « Le core plus, c’est du core avec (un peu) plus de risque », détaille le conseil. L’activité sur cette classe d’actifs a quasiment doublé en un an, passant de 2,3 Mds€ en 2012 à plus de 4,5 Mds€ en 2013 (+ 96 %), représentant ainsi 41 % des volumes injectés en Ile-de- France en 2013. La prochaine marche pourrait être la contagion aux actifs opportunistes et value-added. Le marché français n’en est pas encore là. « Le marché de l’investissement en Ile-de-France a commencé à s’affranchir d’un malthusianisme délétère. Le core plus a représenté l’alternative au core », conclut Knight Frank. Pour le reste, il faudra encore patienter un peu.

Pourquoi Coeur Défense ne fera pas école ?

L’exception au marché français, c’est l’emblématique Coeur Défense. Son acquisition, bouclée en 2007, au plus haut des « années finance », représentait tous les travers du financement de l’immobilier. Procédure de sauvegarde - usuellement plus utilisée et adaptée à la protection de l’emploi qu’à celle des investisseurs immobiliers -, cessions Dailly, revente dix ans plus tard au même prix que celui acquitté en 1997 (1,3 Md€) : le feuilleton semble enfin trouver un épilogue. Mais cet épisode aura créé bien des dégâts pour la place parisienne. « La protection de sauvegarde de Coeur Défense a eu l’effet de ralentir l’appétit des créditeurs pour le marché français, de susciter des recours - parfois abusifs - en procédure de sauvegarde par des emprunteurs en difficulté pour qui cela représentait une extension de leur crédit à un coût marginal mais aussi d’obliger les banquiers à trouver des solutions pour protéger les intérêts des crédits. Tout cela a contribué à masquer l’attractivité du marché français qui peut présenter le double des marges en retour en capital pour les prêteurs par rapport à l’Allemagne ou le Royaume-Uni », égrène Francesca Galante. La spécialiste du financement immobilier va même plus loin : les problèmes de financement créés par le précédent Coeur Défense ont contribué à la baisse des volumes d’investissement immobilier en France en 2013 (- 7 et - 15 % pour Paris).

Le cas Coeur Défense ne fera cependant pas tâche d’huile. « La loi sur les procédures de sauvegarde est en passe de changer dans le bon sens pour les créanciers. Après tout, il y a eu moins d’une dizaine de sauve- gardes immobilières sur le marché y compris Coeur Défense. A la fois côté sponsor et créancier, une pro- cédure de sauvegarde est couteuse et difficile. Et si la loi change, cela attirera les pourvoyeurs de crédits. Car le marché garde bien des atouts au premier rang desquels il faut citer la taille du stock, la liquidité et la centralité », conclut Francesca Galante.

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