Compte-rendu du petit-déjeuner débat sur le financement immobilier Mayer Brown

Fonds de dette, partage des sûretés, procédures collectives, réforme des contrats : les grands enjeux du financement immobilier ont été passés en revue par les différents intervenants du petit­-déjeuner débat organisé, le 6 juillet dernier, par Mayer Brown et CFNEWS IMMO. En voici le compte-­rendu...

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Fonds de dette, partage des sûretés, procédures collectives, réforme des contrats : les grands enjeux du financement immobilier ont été passés en revue par les différents intervenants du petit­-déjeuner débat organisé, le 6 juillet dernier, par Mayer Brown et CFNEWS IMMO. En voici le compte-­rendu.
Sophie Da Costa, CFNEWS IMMO : Les fonds de dette occupent une place de plus en plus importante dans le paysage du financement immobilier. Quel était le marché de la dette avant l’arrivée de ces fonds ?

Jean-­Philippe Lambert, président de Mayer Brown Paris : Le financement immobilier bancaire a, pour l'essentiel, été de type "senior". La sûreté principale portait sur l'actif immobilier (hypothèque, PPD) et les flux (cessions Dailly). Cette situation perdure mais la structuration des financements a évolué, notamment en raison de quelques restructurations retentissantes. Citons, par exemple, les structures de double ou triple holdings au Luxembourg destinées à éviter, en théorie, les effets des procédures de sauvegarde. L'évolution tient également à l'évolution du droit des contrats qui donne une plus grande marge d'appréciation au juge et suppose que l'on réexamine certaines dispositions contractuelles qui ne sont plus adaptées.

« Lorsqu’on entre dans une zone de risque plus importante, les fonds de dette sont là » Privat Vigand.

Sophie Da Costa : Comment sont arrivés ces fonds sur le marché immobilier ? C’est venu du LBO ?

Patrick Teboul, associé Corporate & Securities/Real Estate Mayer Brown : On a d’abord vu apparaître beaucoup de liquidités sur le marché et de grandes marques d’intérêt des fonds pour le placement dette en France, surtout dans le LBO, et essentiellement via l’unitranche. Aujourd’hui, la mécanique s’est bien installée dans le LBO small mid cap avec, dans quasi 70 % des cas, une forte présence de ces fonds de dette. Ils investissent en direct, mais aussi via l’acquisition de prêts bancaires LBO. Ces fonds ont ensuite naturellement essayé d’investir d’autres marchés, comme les infrastructures et bien sûr l’immobilier, où on finance l’actif lui­même. Le pricing proposé est évidemment plus élevé qu’un pricing bancaire classique, surtout en immobilier du fait de l’hypothèque qui est un peu considérée comme la reine des sûretés et qui induit donc un financement relativement peu cher.

Privat Vigand, associé Banking & Finance/Real Estate Mayer Brown : J’ai le sentiment que les fonds ont trouvé leur place parce qu’ils sont arrivés sur un certain type de dossier, plutôt des portefeuilles en difficulté, au moment où il y a eu un assèchement de la dette bancaire et une frilosité sur certaines opérations dans le cadre de refinancements. Comme le sous­jacent de l’actif immobilier n’a pas changé, si un fonds de dette arrive en unitranche, cela signifie qu’on est sur un actif qui nécessite une restructuration et que les prêteurs traditionnels ne veulent pas refinancer. Selon moi, il n’y a donc pas de concurrence entre les prêteurs et les fonds. Ils ne font tout simplement pas le même métier. Lorsqu’on entre dans une zone de risque plus importante, les fonds de dette sont là, et mettent en place des financements qui sont moins connus en immobilier, comme l’unitranche, voire un equity kicker.

Patrick Teboul : On constate une forte présence de ces fonds sur le distressed. Mais on commence aussi à voir des fonds intervenir ­ et c’est extrêmement récent ­ sur des actifs qui ne sont pas distressed, voire des actifs prime, mais avec des situations juridiques très compliquées, sur lesquels les banques ont tendance à ne pas vouloir prêter. Les fonds proposent alors une solution intéressante qui est de faire un bridge, le temps de régler le problème juridique et ensuite de permettre le refinancement partiel via une dette senior classique et de convertir une partie en une sorte de mezzanine.

« Avec l'arrivée de ces fonds, le monopole bancaire est attaqué » Antoine Allez.

Sophie Da Costa : Quelle place occupe la dette distressed ?

Maud Bischoff, counsel Banking & Finance/Real Estate Mayer Brown : Il est clair que les actifs distressed constituent une part importante des actifs financés par les fonds depuis quelque temps. Pour les banques, c’est une porte de sortie et un moyen d’extraire de leur bilan ces dettes devenues trop lourdes et commercialement compliquées à gérer, notamment parce qu’elles n’ont souvent pas les équipes pour le faire. Pour les fonds, c’est une porte d’entrée incroyable qui leur offre des rendements intéressants, bien plus importants que sur d’autres actifs, et qu’ils savent gérer puisque dotés d’asset managers. Sur les actifs prime dont la structure de financement apparaît juridiquement compliquée, les banques sont plus contraintes par leur réglementation interne ou leur comité que les fonds qui sont plus réactifs et donc en mesure de proposer un financement de l’opération.

Jean­-Philippe Lambert : Encore faut-­il que ces fonds puissent prêter ! Certains fonds ne sont pas nécessairement en règle avec la réglementation bancaire en France et, les emprunteurs devraient s'en assurer...

Antoine Allez, notaire associé, VH 15 Notaires : Avec l’arrivée de ces fonds, le monopole bancaire est attaqué. Ces fonds peuvent aussi aller sur de petits dossiers que les banques ne veulent pas traiter. Ils sont plus souples et plus rapides, mais la prise de risque rend l’opération plus onéreuse pour l’emprunteur.

Cyril de Romance, co­fondateur/partenaire, First Growth : Il est vrai que les fonds de dette sont souvent plus réactifs et flexibles que les prêteurs bancaires. Qu’il s’agisse de dette senior, mezzanine, de direct lending ou de secondaire, ces fonds sont intéressés par la dette immobilière qui, d’un côté, offre un couple rendement/risque très intéressant par rapport aux taux long termes et de l’autre, permet aux assureurs de matcher leur passif avec des maturités longues. Les banques et les fonds sont complémentaires et ne sont pas vraiment en concurrence. Ceci dit, on commence à voir un peu de concurrence entre les deux et j’aurai l’occasion d’en reparler. Ces prêteurs travaillent de façon classique pour satisfaire leurs clients qui ont besoin d’effets de leviers plus importants. Traditionnellement, les banques aiment bien prêter 50 % à 60 % de LTV et les fonds de dette ont la capacité de pouvoir faire monter ce levier jusqu’à 70 %, voire 80 %.

Patrick Teboul : Voire plus !

Cyril de Romance : Les banques travaillent en structure A­B, avec une dette senior classique bancaire et une dette subordonnée, qu’elles pourront compléter plus tard avec une autre subordination car aujourd’hui, c’est de plus en plus subordonné... Mais elles travaillent aussi de façon complémentaire, avec la capacité d’underwriter tous les prêts et de pouvoir les distribuer à tous leurs partenaires non bancaires, qui prennent des participations ou des bouts de syndication. Mais peut­on considérer que, lorsque la Société Générale origine un loan pour Axa, c’est du financement bancaire ou du non bancaire ? Je ne sais pas répondre à cette question. Cette approche partenariale des banques et des fonds est très intéressante et rend le marché assez efficace pour les emprunteurs. Nous avons néanmoins eu un dossier récemment, sur lequel le fonds de dette cherchait à faire une dette underwritée à 80 % et la banque en compétition cherchait à faire la même chose. A la différence que le fonds voulait garder l’approche subordonnée pour pouvoir avoir la mezzanine et vendre la dette senior sur le marché à ses partenaires bancaires. La banque elle, voulait faire l’inverse. Elle veut garder la dette senior, vendre la dette mezzanine, mais garder un pourcentage de la dette mezzanine pour booster ses retours dans la dette senior.

« Les unitrancheurs parviennent à avoir une grande partie du marché, même en étant plus chers » Patrick Teboul.
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Sophie Da Costa : Comment ça se passe dans ce cas­ là ?

Patrick Teboul : Le taux proposé est important, mais il n’y a pas que ça. En LBO, le prix n’est pas tout. Les unitrancheurs parviennent à avoir une grande partie du marché, même en étant plus chers, parce qu’ils sont plus souples, plus réactifs, et proposent un certain nombre de facilités en termes de documentation et avec, en général, beaucoup moins de contraintes.

Cyril de Romance : Il y a plus de liquidités dans le LBO que dans le financement immobilier sur le marché secondaire, parce que c’est assez normé. C’est beaucoup moins répandu en immobilier.

Privat Vigant : On commence à en voir sur le marché.

Patrick Teboul : En blacklist, c’est encore rare...

Question du public : Quelle différence de prix y­a­t­il entre une cotation bancaire et une cotation de fonds sur la dette immobilière ?

Patrick Teboul : Dans les pays anglo­saxons, les fonds se positionnent beaucoup plus sur les actifs distressed, donc leur rémunération est assez élevée, autour de 12 %.

Cyril de Romance : Cela dépend du point d’attachement de la dette subordonnée et du point de détachement, jusqu’où monte la dette senior et quel degré de LTV est nécessaire. Les fonds de dette font aussi des deals de nature value­add ou opportunist parce qu’ils ont des exigences de retour et qu’ils ont un coût de capital assez élevé. Aujourd’hui, si on prend un financement entre 60 % et 80 %, selon le degré de nature de l’opération sous­jacente, on sera aux environs de 7 % et plus si de nombreux risques sont pris.

« Les banques en général, et les françaises en particulier, n’aiment pas trop la mezzanine en immobilier » Erwan Heurtel.

Sophie Da Costa : Quelle place occupe la dette mezzanine ?

Erwan Heurtel, associé Corporate & Securities/Real Estate Mayer Brown : On voit de la dette mezzanine sur des financements immobiliers importants, impliquant notamment des banques anglo­saxonnes, plus habituées à gérer les mezzaneurs y compris dans le financement immobilier. Les banques en général, et les françaises en particulier, n’aiment pas trop la mezzanine en immobilier, notamment pour des problématiques de partage de sûretés. En plus, les discussions sont aussi toujours plus compliquées pour cette raison entre la senior et la mezzanine. Dans 90 % des dossiers de financement, il n’y a pas tellement de mezzanine.

Privat Vigand : Entre un intercreditor d’il y a cinq ans et un intercreditor aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple. Dès qu’on se place côté prêteur senior, il y a une phobie à partager les sûretés. Il faut loger la mezzanine le plus haut possible ou le cas échéant, qu’elle ait presque son propre security package qu’elle va pouvoir déclencher. Il y aura alors une négociation pour éviter les changements de contrôle. Si on parvient à réaliser la sûreté, si on a syndiqué auprès d’un certain nombre de mezzaneurs, ça passe. C’est l’avantage de l’unitranche : c’est plus clair lorsqu’on réunit les deux dettes et ça peut être plus simple au moment de la négociation.

Patrick Teboul : La pratique de la mezzanine est assez courante en LBO ou dans les pays anglo­saxons, mais en immobilier, c’est très rare de voir un prêteur et un fonds coexister sur les mêmes sûretés.

Cyril de Romance : On le voyait avant la crise, mais le traumatisme a été tel qu’on ne voit plus de transactions où les prêteurs et les mezzaneurs sont ensemble au sein du même emprunteur.

Jean­-Philippe Lambert : Dans les financements immobiliers, cette coexistence de créances auprès d'un même emprunteur est peu fréquente dans la mesure où l'exécution de la sûreté doit être aussi simple et rapide que possible.

Cyril de Romance : Les banquiers seniors anglo­saxons, qui interviennent sur le marché français ont eux aussi été traumatisés, et ne souhaitent pas forcément partager leurs sûretés avec un mezzaneur. Au Royaume­-Uni, qui est un marché très sophistiqué en Europe, à peu près 75 % des prêteurs mezzaneurs sont soit des fonds dédiés, soit des hedge funds. En France, il y a très peu de mezzaneurs qui ne sont pas des fonds dédiés ou des hedge funds.

Antoine Allez : La sophistication juridique actuelle engendre une perception des risques différente d’il y a dix ans. Lorsqu’ils ont été acquis, ces actifs disposaient d’une documentation de qualité, qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. J’ai l’exemple d’un centre commercial en région parisienne financé plusieurs fois et dont une partie est aujourd’hui infinançable, parce qu’on a découvert un problème de domanialité publique datant de plus de quarante ans. L’actif passe sur une parcelle du domaine public et on ne retrouve pas l’arrêté de déclassement. Le notaire qui a rédigé l’acte à l’époque ne l’annexe pas. Mais cela n’a pas empêché des crédits­bailleurs et des banquiers connus de la place de ne pas s’en préoccuper pendant des années ! Les data rooms ne sont pas toujours conservées et, en France, l’administration refuse parfois de vous répondre lorsqu’on les interroge. L’exigence documentaire est telle aujourd’hui qu’elle amène des juristes à identifier des risques théoriques qui n’en sont pas. Et personne ne veut plus financer l’actif. Dans ce type d’opération, il faut selon moi rapidement s’investir dans le montage de la data room. Nous sommes aussi envahis par les normes en France, comme l’accessibilité handicapé ou celles sur le développement durable. On fait entrer dans la discussion des conseils techniques, dont les perceptions divergent parfois, ce qui ajoute encore un niveau de complexité et d’analyse.

Sophie Da Costa : Dans l’hôtellerie, comment les prêteurs appréhendent­ils la composante du fonds de commerce ?

Erwan Heurtel : On pourrait croire qu’avec la composante du fonds de commerce, on pencherait plus vers un financement LBO classique, mais en réalité, les banques ont des raisonnements de financement immobilier, veulent de l’hypothécaire et poussent vers le financement immobilier classique. Elles refusent de plus en plus de financer l’acquisition du fonds de commerce si elles ne financent pas l’immobilier.

Patrick Teboul : Ce sont des banques de financement immobilier, donc elles se focalisent sur l’immobilier, ce n’est pas le même prix. On peut trouver des banques de financement en corporate ou LBO en hôtellerie, mais ce sera beaucoup plus cher.

« Certaines techniques du financement LBO vont venir s’insérer dans la rédaction contractuelle du financement immobilier » Maud Bischoff.

Sophie Da Costa : Est­ce que, dans les années à venir, le marché immobilier pourrait tendre vers le financement LBO ?

Maud Bischoff : L’endettement va s’adapter au marché. Les acteurs du marché immobilier ont besoin de réactivité sur la dette et les fonds vont donc de plus en plus trouver leur place. Certaines techniques et clauses du financement LBO vont aussi venir s’insérer dans la rédaction contractuelle du financement immobilier, pour favoriser cette efficacité et cette rapidité, comme l’allégement des covenants. A l’inverse, les contraintes des banques elles, continuent d’augmenter.

Patrick Teboul : Il est clair qu’on voit de moins en moins de covenants.

Privat Vigand : Lorsqu’on dit que le LBO arrive en immobilier, il faut distinguer la structure du LBO qui est de créer une holding, de l’endetter au maximum, d’acheter une cible, qu’on ne peut pas mettre en place en immobilier. Il faut de l’hypothécaire. Aujourd’hui, il s’agit plus de s’inspirer des techniques et des clauses du LBO. On voit les banques qui s’intéressent, dans les intercreditors, à la réalisation du pacte commissoire des titres, comment on va les revendre, etc. C’est en ça que l’immobilier tend vers le financement LBO. Avant, les banques ne se posaient même pas la question de la réalisation des sûretés, ni même si l’expert avait donné les bonnes valeurs.

Jean­-Philippe Lambert : La perception du monde bancaire en France est que la réalisation d'une sûreté est le stade ultime du remboursement de la dette. Dès lors que la structure portant l'actif n'a pas d'employé, la réalisation des sûretés est plus facilement envisageable.

Antoine Allez : Le pacte commissoire n’est pas toujours dans les clauses. Ce qui va être intéressant, c’est d’avoir d’un côté le pacte commissoire et de l’autre, les procédures collectives. Aujourd’hui, la pratique de place est de ne pas aller saisir tout de suite les actifs.

Jean­-Philippe Lambert : Il n'est pas impossible que l'exécution de pactes commissoires intervienne, notamment sous l'impulsion des fonds. Cette situation est loin d'être exceptionnelle dans les pays anglo­saxons.

Patrick Teboul : Cela vient aussi du fait qu’en France, la banque ne veut pas de l’actif. J’ai vu certaines ne rien faire sur des porte-feuilles, alors que l’emprunteur ne s’est pas mis en sauvegarde, ne s’est pas protégé. Malgré ça, la banque ne réalise pas.

Antoine Allez : Sauf les crédits bailleurs !

Patrick Teboul : Il y a des questions sur la réalisation des sûretés que le monde du LBO s’est déjà posé contrairement au monde immobilier, alors que l’actif immobilier est plus facile à saisir qu’un actif LBO.

Privat Vigand : Tout le monde est prudent sur le pacte commissoire, parce que c’est quand même un peu la roulette russe ! L’objectif du pacte est de dire qu’on va pouvoir saisir l’actif sur la base d’une expertise et, à partir du moment où on désigne un expert d’un commun accord, l’expertise est fixée et ça vaut valeur. S’il y a une soulte, le fonds est considéré comme remboursé et en plus, doit payer immédiatement la soulte. Même si aujourd’hui, les conseils commencent de plus en plus à considérer que la soulte pourrait être payée plus tard.

Cyril de Romance : On n’a pas encore vu beaucoup d’établissements réussir à mettre la main sur un actif, à moins que les clés aient été rendues par l’emprunteur de façon consensuelle. Ça peut arriver lorsqu’il sait que son equity est complètement perdu et, dans ce cas, il souhaite rendre les clés. Mais souvent, le prêteur ne souhaite pas les recevoir !

Antoine Allez : A ma connaissance, la fiducie sûreté, qui signifie qu’on ne veut pas récupérer l’actif, ne décolle pas en France. Lorsqu’on intervient sur le dossier en tant que notaires, on est confronté à la problématique d’apporter tous les éléments documentaires, pour que l’actif soit au niveau des attentes du marché. Et là, on se retrouve face à de nombreuses difficultés pour récupérer ces éléments. La masse d’informations nécessaires est de plus en plus complexe à gérer.

« La procédure de sauvegarde peut s’apparenter à une extension pas chère et plus facile à négocier » Cyril de Romance.

Sophie Da Costa : On bascule petit à petit vers la seconde partie de ce petit­déjeuner débat, qui porte sur la procédure de sauvegarde. Avant de démarrer le débat, rappelez­nous quelles conditions doit réunir ce levier de négociation ?

Maud Bischoff : Le débiteur doit pouvoir justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter, mais sans être en cessation de paiement. On s’est posé la question de l’interprétation de cette notion, si elle est restrictive ou extensive. La pratique a démontré qu’il s’agissait d’une notion extensive. Des SPV ont dès lors été amenés, ou parfois incités, à bénéficier de cette procédure de sauvegarde pour pouvoir l’utiliser comme un levier de négociation avec les créanciers.

Patrick Teboul : La sauvegarde peut faire rêver parce qu’elle permet de bénéficier de la protection du tribunal, même s’il y a des écueils à éviter. C’est très ouvert et la loi nous permet de rééchelonner la dette sur une période de maximum 10 ans, ce qui peut être utile. Mais l’appréhension de la procédure de sauvegarde est assez négative. Il y a beaucoup d’éléments à gérer lorsqu’on part en sauvegarde, même si l’actif immobilier, lui, est assez simple. Pour les SPV financières, c’est une voie qui est souvent utilisée en immobilier.

Cyril de Romance : La procédure de sauvegarde peut s’apparenter à une extension pas chère et plus facile à négocier. Pour autant, ce n’est pas une mesure anodine. Elle permet de redonner du temps à la transaction pour mettre en place un nouveau business plan et redonner du souffle à l’actif. C’est la solution quand il n’y a plus de solution. Mais elle doit être mûrement réfléchie avant d’être mise en place, d’autant que c’est extrêmement coûteux.

Jean­-Philippe Lambert : Il faut avoir conscience que c’est souvent du "one shot" ! Si vous n’êtes pas passé préalablement par une procédure de conciliation, certains créanciers pourront vous le reprocher et être plus réticents à vous financer sur d’autres actifs. La pratique de place veut qu’à partir du moment où il y a une procédure de conciliation, le banquier n'exerce pas ses sûretés.

Cyril de Romance : Ça dépend aussi du prêteur. Si c’est un conduit de titrisation...

Jean­-Philippe Lambert : Il y a aussi la réforme du droit des contrats, qui peut donner lieu à quelques abus. L'intervention du juge pour interpréter un cas de défaut peut être un moyen de ralentir l'exécution d'un contrat de prêt. Les prêteurs souhaiteront limiter les cas d'intervention du juge afin d'éviter ce type d'abus.

Privat Vigand : Pour contrebalancer le levier du sponsor et rétablir un pouvoir de négociation, des structures de double ou de triple lux­co ou de golden share, plus ou moins coûteuses, peuvent être mises en place.

Sophie Da Costa : Justement, quelles sont les principales façons de gérer la sauvegarde ?

Patrick Teboul : L’idée, c’est d’éviter la sauvegarde. De quelles façons ? D’abord en essayant de déporter la société en dehors de France, avec un système de double lux­co. La fiducie peut aussi constituer une solution, mais elle est coûteuse et compliquée à mettre en place. Il y a un outil qui a beaucoup été utilisé par des fonds de dette de retournement : la golden share. Vous donnez une action à votre prêteur et cette action n’a aucun droit, sauf dans certaines hypothèses où cette action a tous les droits, comme révoquer le management en place et en nommer un nouveau. Il est de plus en plus utilisé aujourd’hui parce qu’il est peu onéreux, facile à mettre en place et, à mon avis, assez efficace.

Privat Vigand : Il a surtout un effet dissuasif.

Patrick Teboul : Oui parce qu’il fait peur ! Avec cet outil, on va dans les statuts de la société et on sort du domaine
de la dette pour entrer dans le domaine de l’equity, que le sponsor comprend en général très bien.

Erwan Heurtel : Il peut aussi inciter le management à chercher à cacher des choses au sponsor.

Privat Vigand : C’est un outil peu employé par les banques, qui restent très prudentes. Il sert surtout à rééquilibrer la négociation avec un emprunteur en difficulté, en l’obligeant à se mettre autour de la table du fait de son effet dissuasif.

Cyril de Romance : Les fonds de dette anglo­saxons sont effectivement demandeurs de ce type de structure. Est­ce que c’est le cas pour les français ? Erwan Heurtel : Oui et surtout pour des raisons de coût, c’est beaucoup moins cher à mettre en place qu’une double lux­co.

Antoine Allez : Ce qui est étonnant sur l’expertise, c’est qu’il peut y avoir des différences de scénario selon que l’expert évalue l’actif avec le débiteur ou avec le créancier. Dans les clauses, les critères sur lesquels l’expert doit se baser ne sont pas détaillés. Je pense qu’à partir du moment où on met de la dette sur un actif, il est important de se concentrer sur la sortie.

Privat Vigand : Il ne faut effectivement pas oublier que le sous­jacent, à savoir l’immeuble, va devoir ressortir sur le marché à une valeur suffisante pour récupérer la dette. Il doit pour ça être présentable. Les discussions entre les deux parties sont obligatoires pour maintenir l’actif.

Antoine Allez : Le fonds de dette qui prend le contrôle de l’opération peut aussi avoir une vision différente de celle du débiteur, et vouloir écrire une autre histoire pour recréer la valeur de l’actif. Ils doivent se mettre autour de la table pour en discuter.

Retrouvez notre article sur ce petit­-déjeuner débat sur cfnewsimmo.net


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